Récit par Joe Dauphinais – First Special Service Force Alpes Maritimes 1944

Récit de Joe Dauphinais 1-2

Alpes Maritimes – sur les hauteurs de Castellar

Automne 1944

Mon platoon occupait un pic a la frontière franco-italienne.
C’était une longue crête étendue et nous nous trouvions en son plus haut point.
Nous étions 28 hommes – 2 sections.

On commence a aménager nos positions sur le bord d’un plateau lorsqu’un des gars me dit:

– « Mais c’est quoi ton probleme? Je ne t’ai jamais vu aussi inquiet et je ne t’ai jamais vu prendre autant de
précautions auparavant, tu perds la tete? »

Je réponds :

– « Est-ce que tu connais la situation? Sur notre gauche se trouve le 2nd Bn 1st Regiment et sur notre droite
se trouve le 1st Bn 1st Regiment. Lorsqu’on m’a briefé pour cette mission, j’ai demandé combien de temps il
leur faudrait pour nous venir en aide si on en avait besoin et on ma répondu 3 heures…. Minimum!! »

J’ai réuni mes hommes et leur ai dit de ramasser toutes les armes et munitions allemandes qu’ils trouveraient,
en particulier les armes automatiques et les grenades a manche!

Après ça, on avait une putain de MG42 dans chacune de nos positions!

Nous avions deux lignes principales de défense… Notre ligne de défense initiale dans laquelle nous nous trouvions
ainsi qu’une autre ligne naturelle composée de rochers a une cinquantaine de mètres derrière nous.
Mon platoon était le seul la haut alors j’ai vraiment porté un soin particulier a l’organisation de nos positions.
Si les Allemands nous repoussaient à notre 2ème ligne de défense, ils allaient devoir s’exposer!

Nous occupions à present les positions que ces putains d’Allemands avaient occupé pendant des années!
Nous les avions toujours attaqué depuis le bas des montagnes, et on avait beaucoup appris d’eux.
Cette fois ci c’est nous qui étions en haut et c’est eux qui attaquaient!

Un peu plus bas sur la colline se trouvait un poste d’observation de l’US Army.

Je leur dit:

– « Vous feriez mieux de rester ici en haut avec nous! »

Leur officier répond :

– « Oh non pas de probleme, on occupe une cave la bas en bas. On sait ce qu’on fait. »

Alors je leur répond:

– « Si vous allez la bas en bas, je ne suis pas responsable. »

Le jeune officier demande :

– « Mais qu’est-ce que vous voulez dire? »

Alors je repond :

– « Vous, vous allez sur ce plateau la bas en bas, mais nous, pour rien au monde on ne lachera nos positions la haut –
on ne fait pas ca. »

Il répond:

– «Mais je suis l’officier!»

Je réponds :

– « J’en ai rien a foutre de qui vous êtes, si vous voulez aller la en bas, allez y, mais si les allemands tentent une percée vous êtes foutus. »

Il ne voulait pas m’ecouter… il savait mieux…

Le matin suivant je suis en train de cuire mon petit déjeuner lorsque leur poste d’observation appelle sur notre radio:

– «Des FFI montent dans notre direction!»

Puis ils nous rappellent :
– «Non ce ne sont pas des FFI mais des Allemands! »

A ce moment mon petit déjeuner venait de cuire et je commence juste a me sentir bien parce que je prends pas la peine de contrôler ce qui se passe et de toute façon j’en ai rien a foutre de ces trous du cul…

Et soudain ça commence a tirer de partout .
C’est du sérieux…

Je regarde en bas et j’aperçois le jeune lieutenant – celui qui savait tout – et ses hommes, en train de sortir de leur abri les mains sur la tête.
Les allemands viennent juste de les capturer!

Après leur première attaque, on tenait encore bien nos positions mais on ne réalisait pas que les Allemands étaient en surnombre.
Alors on déçide de les attaquer!

On a perdu 3 hommes dans l’attaque.

Les Allemands tentent une deuxième percée et après 3 minutes de combat, toutes nos armes sont enraillées!

Les BAR, les Johnson, les Cal 30…toutes!

Ca devait venir de la mauvaise munition car nos armes étaient toujours propres !
Avant d’entreprendre quoi que ce soit on nettoyait toujours nos armes…
Que ce soit manger, dormir, se laver… on nettoyait toujours nos armes avant !
Personnellement je ne passais pas 5 minutes sans nettoyer la mienne!

Mais le problème venait de la munition en elle-même, cette munition fabriquée en masse pour l’effort de guerre
et qui était parfois de mauvaise qualité…

Alors c’est une putain de bonne chose qu’on avait stocké toutes les armes allemandes le soir d’avant autrement
je ne serai pas la pour vous raconter cette histoire!

Les boches ont bouffé leur propre plomb! Ils en ont bavé avec ces MG42…

C’était très intense.

On m’a avoué plus tard que le nombre d’Allemands qui nous attaquaient avoisinait les 250 et ils étaient
vraiment déterminés a nous reprendre ce bout de terrain! C’était le plus haut point de toute cette putain de crête
et sils avaient réussi a nous déloger, on aurait eu tout le mal du monde à le reprendre – et ca nous aurait coûté encore beaucoup de vies.

On a continué à se battre encore un moment jusqu’a ce que notre effectif soit réduit a 12 hommes.

Les Allemands continuaient a arriver par vagues!

C’était un engagement fantastique, on aurait dit la dernière bataille de Custer!

Il ne restait que 8 d’entre nous lorsque j’ai ordonné à mes gars de se retirer vers notre deuxième ligne de défense –
la rangée de rochers qui se trouvait à 50 mètres derrière nous.

Mes hommes sont à présent à l’abri, mais moi je suis toujours seul en haut du pic totalement exposé… mais je suis heureux…
Les tirs sont tellement intenses que j’essaie de marcher en oblique en faisant des mouvements de zig-zag mais les Allemands sont très proches!
J’essaie juste d être une cible la plus petite possible! Les balles labourent le sol à mes pieds et derrière mes talons! Et moi je me presse même pas…

Je marche…

Pourquoi courir au paradis quand on peut y marcher ???

Je sens les balles passer à travers mes putains d’équipements et mes vêtements!
Les chances de m’en sortir vivant paraissent très minces! Je ne sais pas comment je n’ai pas été touché !
Tout le monde me crie dessus pour que je sorte de là, mais moi je continue a marcher calmement en zig-zag!

Je ne sais pas comment je vais sortir vivant de la, mais je sais que si je panique, je suis mort.

De toute façon je viens de décider que je suis en train de vivre mes derniers instants sur terre.

Je le sais, je l’accepte… ca ne me dérange pas…

Je rejoins finalement mes hommes. Notre deuxième ligne de défense se trouve juste derrière le pic de la crête et offre un excellent champ de tir.

Tout se passe comme prévu.

Les Allemands doivent à présent s’exposer pour nous tirer dessus.

Si Custer avait eu notre position, il serait toujours la!

On continue à tirer sur les Allemands pendant un moment mais ils s approchent de plus en plus!
A un moment, un de mes hommes place son fusil entre deux rochers et un allemand se trouve juste en face!
C’était a qui tirait la gachette le plus vite…

A 11h du matin les Allemands cessent leur attaque et se mettent a redescendre dans la vallée.
A ce moment précis, j’avais une MG42 entre les mains mais je n’avais plus de munitions!

Je me mets a sécuriser le périmètre et a m’occuper des blessés et pendant ce temps mes hommes continuent a tirer sur les Allemands qui dévalent la pente qui est longues et raide.

On aurait dit que mes boys faisaient du tir au pigeon…

– « C’est moi qui l’ai eu! »

–  » Non c’est moi! »

Ils commencent même à s’engueuler pour savoir qui a eu tel ou tel allemand – on aurait dit des garçons de ferme
en train de tirer sur des oies ou un truc comme ça!

Tout ce cirque a duré environ une demi-heure!

Je donne l’ordre à un de mes gars d’aller se poster en dessous de notre position et lui dit:
– « Si quelqu’un pointe son nez, tu tires ! »

Quelques secondes après, je me retourne et vois ce même gars en train de pointer son fusil vers un de mes bons
potes, Bill Watson et je me dis: « Mais putain de merde, qu’est-ce qu’il fout? »

Et soudain « bang »… et Bill s’effondre…

Au début jai bien cru que c’était l’homme que j’avais envoyé en dessous de la position mais je me suis vite rendu
compte qu’il s’agissait d’un Allemand!
Sûrement un trainard qui avait decidé de se faire un ou deux américains avant de redescendre dans la vallée.

Heureusement la balle a simplement égratigné le crâne de Bill! Quant à l’Allemand, ça aura été sa dernière erreur…
les autres l’ont eu juste après.

Bill hurlait:

– « Vous avez laissé ce fils de pute me tirer dessus! Vous l’avez laissé faire! »

De toute façon je n’avais même plus de fusil!

Le truc est que l’Allemand visait en bas sur Bill et lorsque vous visez vers le bas, vous n’êtes pas précis…
et c’est ce qui a sauvé Bill.

Je retrouve mon fusil la où je l’avais laissé en début de matinée lorsque je préparais mon petit-déjeuner…

J’ai horriblement soif alors je prends ma gourde et elle est vide!
Je prends mon autre gourde et elle est aussi vide! Mes gourdes ont été percées par des balles!
Celà a du se passer quand j’étais a découvert au sommet de la crête en essayant d’inspirer et de motiver mes gars!

Il y avait eu beaucoup d’excitation ce matin là… même pour nous…

L’attaque avait débuté a 8h du matin et les Boches se sont retirés vers 11h, heure à laquelle nous avons
commencé a avoir un peu d assistance et de support d’artillerie….

On venait de se battre pour sauver nos peaux alors que la en bas ils faisaient la fête!

8 d’entre nous en sont sortis indemnes, moi y compris.
J’ai perdu 7 hommes et les autres sont blessés.
C’était un platoon tout frais, je venais de recevoir ces hommes 2 jours avant…

Et la après l’attaque j’éprouve un drôle de sentiment… Je ne sais pas comment on peut appeler ce sentiment,
mais je suis totalement extenué et je me sens abandonné et délaissé…
Ca doit venir du fait d’avoir été si tendu pendant si longtemps et soudain c’est la « descente » et une sorte de dépression s’installe.

Un profond sentiment d’avoir été laissé pour compte me parcours.

En tout cas c’est ce sentiment précis qui était en moi lorsqu’un de nos officiers supérieurs s’approche de moi
pour me questionner…
En venant vers moi à ce moment, cet officier s est mis en danger, il est passé très près de la mort sans le savoir…

Il arrive vers moi, les mains sur les hanches en me regardant de haut et dit :

– « Au début de l’attaque, pourquoi avez vous cessé de tirer après 3 minutes de combat? »

Je réponds :

– « Espèce d’abruti, va voir nos putains d’armes! Elles sont toutes enraillées ! Même les putains de cal 30 sont enraillées!

Je crois que cet officier n’a jamais su la chance qu’il a eu de pouvoir redescendre de cette montagne vivant.
Je n’ai jamais été aussi chaud envers quelqu’un ..

Ca venait tout de son attitude de « c’est moi le grand officier et tu as intérêt à me dire ce qui s’est passé ici…Sergent! »

Je voyais déjà rouge et je me répétais dans ma tête: « Espèce de fils de pute, tu aurais du être avec nous la haut pour voir! »
Mais bon c’est comme ça, je ferme ma gueule…mais ça me démange vraiment de sortir mon 45…
Après toutes ces épreuves, voilà cet enfoiré qui arrive avec son air supérieur alors naturellement ça me fait dresser les cheveux sur la tête.
C’est la premiere fois que j’ai été vraiment chaud envers un officier, mais je veux dire VRAIMENT CHAUD.
C’est sûr, on se plaint tout le temps des officiers et de leurs actes, on les traite de tous les noms etc…c’est normal…
Mais la, pour la première fois, j’aurais vraiment pu faire une bêtise… Bref, quelque chose de pas de pas très officiel!

Et notre récompense pour tout ca ? Et bien on a reçu l’ordre de mener une parouille en bas de la montagne le soir même!

Apparemment mes supérieurs ne pensaient pas trop à mes intérêts personnels!

Ah oui, j’oubliais de rajouter que j avais recommandé Bill Watson pour une Silver Star pour cette action.
La citation pour Bill comportait exactement tout ce que j’avais fait moi-même ce matin.

Puisque je ne pouvais pas parler de moi même dans la citation, je voulais juste être sur que quelqu’un soit reconnu pour cette action et qu’on s’en souvienne, alors j’ai dit que c’était Bill qui avait fait toute cette merde.

Après avoir lu mon rapport l’officier me dit:

– « Si ceci est la cas, pourquoi ne le recommandez-vous pas pour la Medal of Honor? »

Je réponds:

– « Ca c’est à vous de décider – moi je ne suis que sergent! »

J’en avais rien a foutre de ce qu’ils allaient lui coller sur la poitrine… la croix de guerre ou la médaille d’honneur… n’importe quoi… Personnellement je pensais qu’ils auraient pu lui donner au minimum une Silver Star.

Puis tout s’est compliqué – il y a une controverse car Bill n’avait rien fait de tout ça et la citation a malheureusement été annulée…

[center]Après cette journée, tout ce que je voulais est que cet épisode soit reconnu officiellement et qu’on
s’en souvienne car on a perdu 8 hommes à la Difensa et on en a perdu 7 ce jour la….

Et tous étaient de mon platoon…

Sgt Joe Dauphinais
1st Company – 1st Battalion – 2nd regiment

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