Jean Moulin – Chef de la résistance par André Malraux

L’éloge funèbre prononcé par André Malraux se veut un hommage à la résistance, dont Jean Moulin est le symbole.

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Voila donc plus de vingt ans que Jean Moulin partit, par un temps de décembre sans doute semblable à celui-ci, pour être parachuté sur la terre de Provence et devenir le chef d’un peuple de la nuit. Sans cette cérémonie, combien d’enfants de France sauraient son nom ?
Il ne le retrouva lui-même que pour être tué; et depuis sont nés seize millions d’enfants. Puissent les commémorations des deux guerres s’achever aujourd’hui par la résurrection du peuple d’ombres que cet homme anima, qu’il symbolise, et qu’il fait entrer ici comme une humble garde solennelle autour de son corps de mort.(…)
Comme Leclerc entra aux Invalides avec son cortèges. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et broullard, enfin tombé sous les crosses; avec les huit mille Francaises qui ne sont pas revenues des bagnes; avec la dernière femme morte à Ravenscbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. ENtre, avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle – nos frères dans l’ordre de la Nuit.


Jean Moulin

Commémorant l’anniversaire de la libération de Paris, je disiais: « Ecoute ce soir, jeunesse de mon pays, les cloches d’anniversaires qui sonneront comme celles d’il y a quatorze ans. Puisses-tu, cette fois, les entendre: elles vont sonner pour toi. »
L’hommage d’aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s’élever maintenant, ce Chant des partisans que j’ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le broullard des vosges et les bois d’alsace, mêmé au cri perdu des moutons des tabords, quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Rundstedt lancés de nouveau contre Strasbourg.
Ecoute aujourd’hui, jeunesse de France,ce qui fut pour nous le Chant du malheur.
C’est la marche funèbre des cendres que voici. A côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la justice, qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres défigurées.
Aujourd’hui, jeunesesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvre qui n’avaient pas parlé; ce jour-là, elle était le visage de la France.

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Discours de André Malraux – Ministre des affaires culturelles de 1959 à 1969 lors de la cérémonie au panthéon.

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